Sans attache familiale, sans aide aucune, ils n’ont pas d’abri et n’ont pas d’identité. Sans visage pour l’administration russe, abandonnés de tous, telles des ombres ils survivent dans la rue.
ILS ? Les enfants sans-papiers. Les « biez», un sobriquet approprié puisqu’en russe cela signifie sans.
Dans ce pays, chaque année, environ 15.000 adolescents de 18 ans, parfois plus jeunes, sortent des institutions spécialisées (orphelinats, internats, maison d’enfants). D’après les données du Département de l’Education Russe, environ 60 % des jeunes gens issus de ces instituions n’ont pas de logement et se retrouvent dès leur sortie de l’établissement directement sur la pavé.
Sans papier et sans « Propiska » voilà les seuls legs qu’ils reçoivent de l’Etat russe.
A Saint-Pétersbourg, 10.000 enfants végètent dans la rue.
L’article 57 n’est pas respecté
Et pourtant la législation de ce pays, adopté en 2004, est formelle : l’article 57 du nouveau Code du logement, paragraphe 2, stipule : « le logement est accordé en priorité aux enfants orphelins qui sont restés sans soutien parental ou familial, dès leur sortie des établissements d’enseignement et autres foyers publics, y compris ceux de l’aide sociale, des familles adoptives, des orphelinats de types familiaux». Cet article 57 n’est pas respecté et de plus, les orphelins ne sont pas mis au courant de leurs droits.
Le tableau serait incomplet si l’on oubliait qu’au mois de décembre 2012, le gouvernement de Vladimir Poutine a interdit aux Américains d’adopter des orphelins russes. Ceci avant tout pour des raisons de politiques extérieures entre les deux Etats. Ce tour de vis à tendance à s’appliquer aussi, et de plus en plus, aux autres pays dont les citoyens seraient susceptibles de vouloir adopter un orphelin russe.
Bref, être un orphelin en Russie est trop souvent synonyme d’une existence des plus précaires, en marge de la loi, et sans aucun droit administratif.
Les orphelins au secours des sans-abris
Sans avoir la prétention de régler ce problème politico-social, l’ONG russe Nochlezhka se lance cependant dans un nouveau projet : une socialisation des orphelins.
Avant leur sortie de l’orphelinat, l’ONG pétersbourgeoise accueille, une fois par semaine, quelques orphelins afin qu’ils participent à la distribution de vivre du Bus de Nuit dans les quartiers de Saint-Pétersbourg.
Andrei Chapaev, responsable à Nochlezhka du Bus de Nuit nous informe: «Nous travaillons en collaboration avec le mouvement « Parents de Saint-Pétersbourg ». Souvent les enfants élevés hors de leur famille sont égoïstes, très individualistes, asociaux. C’est donc important de leur donner la possibilité de s’occuper de quelqu’un pour qu’ils se responsabilisent. »
Au grand étonnement de Nochlezhka, les sans-papiers, sans abris, pas très sociables en général, ont accueilli très chaleureusement leurs « camarades d’infortune », tandis que ces ados orphelins, après avoir écouté les pathétiques parcours de vie de ces autres victimes de l’administration russe, ont compris pas mal de choses sur la vie en dehors des murs de leur internat.
Leur faire connaitre les réalités de la vie
A Saint-Pétersbourg le printemps est encore bien timide. Ce soir-là un vent méchant, froid et humide fouette les silhouettes des sans-abris. Coincé entre les entrepôts de Koupchino et la gare Sortirovotchnaya, le chemin de traverse est gelé. Un groupe de personnes se réchauffent tant bien que mal par quelques énergiques mouvements. A la tombée de la nuit, ces femmes, ces hommes, ces adolescents attendent le Bus de Nuit à la recherche d’un bol de potage brulant, un peu de pain, de thé et de quelques médicaments de première urgence.
Aujourd’hui, Milena 16 ans, l’une des pupilles orpheline du foyer « Parents de Saint-Pétersbourg » accompagne les volontaires du Bus.
Elle nous déclare: « Les sans-abris sont des gens comme tous les autres. A chaque arrêt du Bus, nos conversations sont sources de vive émotion. Grâce à cette expérience, à ces rencontres, je me rends compte que je ne suis pas la seule à souffrir des injustices sociétales ».
La coordinatrice du mouvement « Parents de Saint-Pétersbourg », Anastassia Morozova, a mis sur pied avec Nochlezhka cette expérience innovante où les orphelins-adolescents, futurs sans-abri, apportent une aide réelle aux adultes qui, faute de papiers administratifs en règle, sont eux-mêmes des sans-logis.
Anastassia nous explique: « Ce projet permet d’élargir les horizons sociaux de ces orphelins. Il leur apprend à connaître activement la vie d’autrui et à prendre en considération les problèmes de «l’autre». L’idée est de contrecarrer l’attitude « consommatrice » qui a tendance à prévaloir dans les orphelinats où les pensionnaires estiment que tout leur est dû. Il est nécessaire de lutter contre cet état de fait et qu’ils connaissent les réalités de la vie. »
Apprendre à aider les autres
Milana s’intéresse aux thèmes politiques et sociaux. Elle se pose bien des questions : pourquoi en Russie un citoyen devient un moins que rien simplement par l’absence de papiers administratifs ? Qu’il peut, sans aucune protection légale, perdre son logement et se retrouver à la rue. Pourquoi les orphelins sont-ils abandonnés de la sorte ?
Plus tard, Milena voudrait entrer dans la police, travailler avec des enfants à problèmes. « Il faut prendre l’habitude d’aider les autres » - dit-elle en guise de conclusion.
NB : La Propiska est ce statut administratif que le citoyen russe acquiert lorsqu'il enregistre son lieu de résidence. Cette inscription, dûment tamponnée dans son passeport intérieur, est l'unique clé à une existence bureaucratique et aux droits qu'elle procure.
Les causes de cette carence administrative sont multiples. Mais sans Propiska impossible de chercher un appartement, de trouver du travail, de voyager à l'intérieur du pays, d’exiger que vos droits de citoyen soient reconnus, ceux d’avoir un toit, un travail, un passeport intérieur, de voter, d’accéder à l’aide sociale, aux tribunaux.
L’association Nochlezhka Suisse Solidaire soutient l’ONG Nochlezhka. Elle présente, du 04 mai au 03 juin, au café du Grütli, rue du général Dufour 16, Genève, une exposition photographique consacrées aux citoyens russes sans-papiers dans leur propre pays.